Écrire, que vous le vouliez ou non, que je le veuille ou pas, c’est aussi se mettre en danger
Me mettre en danger
M’engranger
Madranger n’existe pas
Madrange m’est connue
Me mettre
Me mettre moi-même
Écrire, c’est aussi prendre des risques
Pas toujours évalués
Me faire juger, jauger, critiquer, parfois insultée, parfois menacée
Quand les uns me traitent de folle hystérique, d’autres me disent talentueuse
Quand les uns déclarent, si elle est mièvre votre écriture ! D’autres s ‘y mirent, y voient même matière à penser ou à s'émouvoir
Écrire m’échappe et m’est indispensable à la fois
Écrire est ma richesse de pauvre
Et ma fantaisie
L’objet de mes tourments
Et la peau de mes envies
Écrire me sauve et me condamne en même temps
J’éprouve une liesse rare avant d’écrire, du plaisir et de l ‘angoisse
L’angoisse de ne pas savoir écrire, de manquer de mots, de manquer de sens, de manquer d’utile
Écrire m’apaise, immédiatement
Écrire me soigne, indéniablement
Le bien que j’en retire est plus grand que la peur que je pourrais en avoir
Quand bien même j’écrirai mièvre, ignorante et jamais connue
Jamais lue
Ou si peu
Sans feux ni oriflammes
Écrire est un art, un moyen, une thérapie, un échappatoire, une évasion, un voyage, une découverte, une rencontre, un renoncement, un élan, écrire est tout et son contraire, écrire ne vaut pas une mauvaise guerre, écrire est une fleur sauvage épousant son envers, écrire est un défilement, un long serpent avec son venin craché par terre, une fête et son terminus, une aurore et ce qui s’annonce, un ruisselet qui rejoint un océan, un souffle au milieu du vacarme, un cri lointain, une surdité, une crique, une matinée, une rime involontaire, une idée et son revers, un cheminement hasardeux, une grimpée solitaire, un sentier sans chaos, une descente aux vaux bien verts, une échappée dans la tourbière, une assise sur un bloc de granit ou de calcaire, une plainte sans pleurs, une offre sans arrière-pensée, un bouquet de fleurs, un chagrin consolé, un deuil à venir, la mort à regarder en face, la mort et les vivants, les torts ou les ruminants, écrire est un conte et un roman, une nouvelle sanglante, un apaisement.
Écrire, c’est écrire tout et n’importe quoi, écrire mal, écrire quand on a mal, quand on est bien, quand on nous fait du bien, quand on aspire au bien et au meilleur, quand on aspire, inspire, expire, écrire, c’est une respiration de plus, une inspiration de plus par rapport aux inspirations d’un autre, d’un autre multiple et souvent inconnu, écrire, c’est une somme et du repos, un travail douloureux et ingrat, un travail exigeant et réparateur, qui nous laisse parfois en colère, ou rétamée. Écrire, ça peut être discret ou tapageur. C'est la phase du plateau quand internet refuse de prendre ma bonne femme faite en tomates bien rouges, posée sur un plateau. C'est la phase du plateau, quand l'écriture s'expose, rouge et frémissante, toute honte débarrassée. C'est exposer des mots, les exhiber, la culpabilité en moins. C'est la phase du plateau, l'attente et le désir, la concrétisation et la peau qui ose, l'apothéose, et ce, que l'écriture soit bonne ou pas. C'est l'expression d'un désir et de son accomplissement. C’est aussi du boulot au fond de rétameur. Il faudrait travailler les mots comme le rétameur cisèle le métal. Écrire, c’est peut- être artisanal...
Je ne sais pas ce que c'est qu'écrire, il me faut l'écrire, écrire, c'est ça... Ce sont les mots qui manquent et ceux qui surgissent, des enfers ou des oublis, des joies ou des espérances. Ce sont des mots qui pallient parfois à l'inexprimable, qui pâlissent aussi ou prennent tous les parfums, toutes les couleurs, tous les paysages, tous les visages, écrire, c'est percer et percevoir, creuser des trous, construire des ponts, s'abriter puis se mettre à découvert, écrire, c'est aimer et le faire savoir, écrire, c'est tendre le poing sans y déposer une arme, c'est résister sans perdre son sang, c'est se faire un sang d'encre et le rendre fluide et transparent au fur et à mesure des pages...
Je ne sais pas ce que c'est d'écrire, il me faut l'écrire, écrire, c'est ça.
écrire, c'est inscrire des mots, arracher des pages et perdre des plumes
écrire, c'est échouer et vaincre à la fois