Quand on est petit, on naît pas bien grand. On ne montre pas ses fesses à tous les passants. On se perd dans le trop monde des grands. On fait des cauchemars. On va à l'école et on a oublié sa culotte. LA HOOOONNNNNNTEUEUEU! et l'enfer au bout du chemin.
On doit longer une maison immense par la plus grande longueur avec sa maman, mais un diable rouge aux grandes dents, aux yeux luisants et aux griffes aiguisées vous en empêchent pour l'éternité. On voit son père tout noir, les bras en croix, étendu au fond d'un précipice sur une couche épaisse et blanche de neige, et il est mort pour de vrai.
On fait sa toilette et on perd son nez, ses yeux, ses oreilles, sa langue et ses membres. On se fait attraper par des hommes sans visages qui vous enfoncent tout au fond d'un grand sac, et ils appuient tellement fort que ça fait très, très mal. On est cerné par des araignées, des veuves noires, qui vous piquent, vous mordent, vous attrapent et vous courent dessus. On est surveillé par le Bon Dieu, par le Diable et par la mère Bigote qui fait le catéchisme. On se noie et ça fait plaisir au Bon Dieu. On peut mourir dans une auto à cause d'une plaque de verglas et on laisse toute sa famille orphelin, et on se fait grignoter petit- à-petit par des vers de pêche.
Quand on est petit, on naît pas bien grand. On a peur dans le trop monde des grands. Mais on peut se transformer en fourmi riquiqui, en grenouille, en grillon dans son trou qui chante tout l'été, mais pas en cigale, non. En coyote, en malheurs de Sophie, en mémoires d'un âne, en Cendrillon qu'a perdu sa marraine, en canard à la tête coupée et qui vit encore, mais qui ne peut plus crier, en cochon qu'on égorge, en hérisson brûlé vif par les bourreaux du village, en gigot d'agneau, mangé par des enfants qui l'avaient caressé et aimé, en jeune homme cassé sur son pare-brise, en son père assassin, en couvreur qui glisse du toit au- dessus de sa tête et qui meurt d'un seul coup, en sa mère pleurnicharde, en crème brûlée, en tarte à l'envers, en petit biaffrais qui n'a pas de soupe, en petit éthiopien qui n'a pas de soupe non plus, en petit Jésus crucifié, en Sainte Blandine, en juif sous les dents des lions, en épître, en accordéon, en feuille de papier toute gribouillée, en galet tout blanc, en petit caillou tout gris, comme ceux qui bordent le chemin des grévistes, et on ne voit plus rien, et on n'entend plus rien. On est un tout petit caillou mélangé à d'autres petits cailloux, et c'est tout!