Bris de glace,
Ô miroir, dis-moi!
Ai-je grandi?
Réponds-moi, cancre nébuleux, chancre apprivoisé.
Ô miroir, dis-moi!
Ai-je grandi?
Reflet flou, image folle, déformée.
Combien brisés! Les miroirs m'échappent des mains.
Oisillons blessés préférant mourir.
Ô miroir, écoute-moi!
J'ai vieilli, mais ma carcasse seulement.
Tu ne rayeras pas le parfum de mon coeur.
Ô miroir, dis-moi!
Est-ce l'ombre de mon père
Que je recherche dans les bars à ivrognes?
Et je vis alors,
Un pré immense, couvert de fleurs sauvages, pâquerettes et coquelicots,puis un désert de sable, aux dunes mouvantes, lentes et apaisées, puis une mer scintillante, aux vagues tendres, de laquelle jaillissaient des hippocampes dorés qui jouaient à colin-maillard.
La paix, seulement la paix,
Pour t'écrire,
A toi,
Jumeau, jumelle
Séparés.
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Les mots qui pleurent,
Mon père était un homme simple et peu expansif, l’un de ces hommes frustres qui dissimulent tout émotion, Même sous l’emprise de l’alcool, et qui s’en sort par des pirouettes, des blagues, une dérision permanente,
Un humour ravageur et une propension à la moquerie sans méchanceté, le tout pimenté d’une franchise étonnante.
Natif de suisse, il portait les torrents clairs des montagnes dans les yeux et leur musique polissonne.
J’ai tant scruté les yeux de mon père….
Pour l’interroger sur sa souffrance, pour comprendre pourquoi il était alcoolique.
Jusqu’à l’âge de 7 ans, je ne l’ai jamais vu pleurer, ni aucun homme d’ailleurs, à l’exception de mes frères, qui n’en étaient pas.
Les hommes avaient-ils des larmes?
C’était pour moi un grand mystère et je regardais mon père dans les yeux, qu’il soit ivre ou pas, comme pour y plonger et nager dans ses larmes, ses larmes qui ne venaient pas!
A sept ans, je découvris que mon père savait pleurer, et ce fut pour moi un grand soulagement, mais plus encore, un grand désespoir.
Nous revenions de chez mes grand- parents un soir de Noël. Mon père n’avait pas bu ce jour-là.
Le brouillard et la nuit étaient si denses et oppressants qu’il me semble que nous avions tous des larmes enfouies.
La nuit était blanche et opaque et le brouillard avait avalé nos mots depuis bien longtemps. Seul mon père scandait le silence de cette phrase:
-Pon Tieu de merrrte! On n’y foit pas à un mètrrre!
A quelques kilomètres de l’arrivée, ma mère poussa un cri et le pare-brise vola en éclats. Un jeune de notre village venait de s’y fracasser la tête, poussé sur la route par ses amis trop alcoolisés, mais cela, nous l’apprîmes beaucoup plus tard.
Après, j’ai compris que les mots, mais aussi les silences pouvaient pleurer. Il y eut d’abord les cris, les plaintes, les murmures de voix sans visages, tous ces mots qui pleuraient.
Il y eut ensuite les larmes invisibles des silences d’enfants perdus dans des nappes blanches et effrayantes.
Il y eut les sirènes qui hurlaient et dont on n’apercevait qu’un halo blafard.
Il y eut les murmures de ma mère qui se voulaient rassurants et qui pleuraient déjà.
-Nous avons heurté le fils X du village. C'est affreux! Papa va l'accompagner à l'hôpital...
Je crois bien qu'il va mourir.
Il y eut les mots de ce journaliste régional qui inscrivit que le jour de Noël, notre père avait tué le jeune X.
Il y eut les rumeurs, les mots faux, les mots de colère qui ne pleuraient pas mais faisaient pleurer.
Et il y eut les premières larmes de mon père, ces larmes que j’avais tant espérées et dont je ne voulais plus.
De cela surtout, je me souviens…
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