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HISTOIRES REPTILIENNES


Qui n’a jamais entendu parler dans sa jeunesse « d’untel » du village, brave et fort, capable de soulever une montagne, et qui aurait terrassé un monstre rampant de trois mètres de long au péril de sa vie, alors que l’animal n’était bien souvent qu’un orvet inoffensif, pas même un véritable serpent, mais un pauvre lézard qui avait perdu ses pattes?

 

 

Qui ne se souvient pas d’avoir marché dans ces herbes hautes où les adultes nous forçaient à porter des bottes ou nous conseillaient de frapper le sol avec nos semelles ou un bâton, et dans lesquelles nous progressions avec prudence comme s’il s’agissait d’une jungle pleines de bêtes féroces prêtes à se jeter sur nous?

 

 

Qui ne se rappelle pas de ces contes fabuleux, évoquant des serpents géants de mer ou de caverne, ailés ou non, du basilic, du monstre du Loch Ness, de Mélusine, de la vouivre ou de la mandragore?

 

 

Qu’ils soient l’objet de répulsion ou de vénération, les reptiles nous laissent rarement indifférents. De nombreux objets sculptés les représentant attestent que les Celtes leur vouaient un culte. Les serpents sont liés à Esculape, Dieu romain de la médecine, copié sur Asklépios, Dieu grec de la même discipline. Grecs et romains en gardaient en captivité dans leurs temples consacrés aux Dieux de la médecine. La caducée des médecins et des pharmaciens est un faisceau de baguettes autour duquel s’enroule le serpent d’Asklépios.

 

 

Le christianisme a fait du serpent l’incarnation du mal, le symbole de la tentation diabolique et de la dépravation sexuelle depuis que le serpent a tenté Eve et que l’homme fut chassé du paradis. Dans la bible, Dieu s’adresse ainsi au serpent:

« Tu seras maudit entre toutes les bêtes de la terre, tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la poussière ». Reptile vient du latin reptila qui signifie ramper.

 

 

Le serpent est celui qui hypnotise et conduit à la mort. Comment ne pas songer à la Méduse, l’une des trois gorgones à la chevelure de serpents qui avait la faculté de pétrifier tout humain qui la fixait dans les yeux? En réalité, les accidents mortels dus aux serpents restent rares, et leur venin, comme celui des amphibiens, est utilisé par la médecine. Les thériaques (du grec, bête féroce), alcool de vipère, remèdes à base de reptiles existent depuis des temps reculés et dans toutes les cultures. Les reptiles, et principalement les serpents, subissent encore des persécutions liées à leur mauvaise réputation et sont souvent tués. Dans nos régions comme ailleurs, et dans un passé pas si lointain, ils ont été longtemps associés à la sorcellerie, au diable et à la mort.

 

 

                                                        LEGENDES LIMOUSINES

LA MANDRAGORE:

Elle possédait un corps et des pattes de lion, une tête humaine et une queue de serpent. Dans d’autres versions, c’était un serpent terrifiant de « 50 pieds de longueur ». Elle errait autour de Bussière-Boffy et terrorisait la population. Elle exigeait de jeunes vierges comme nourriture. Parce qu’elle dévastait les campagnes, les consuls de Limoges finirent par lui céder une jeune fille par mois pour calmer son appétit féroce. Un jeune homme amoureux et courageux, Guyot de saint-Quentin qui apprenait le métier des armes à Mortemart, voulut sauver la femme qu’il aimait et attaqua le monstre près de la butte de Frochet, la blessant grièvement. La mandragore alla se noyer dans l ‘étang de l’Eupéride.

 

 

La mandragore des avares limousin de l’ancien temps.
(D’après A. Boisse, Saint-Priest-Sous-Aixe)

C’était un serpent couleuvre à collier que le diable donnait à ceux qui concluaient des pactes avec lui. Elle vivait dans le four de son propriétaire qui la nourrissait de lait. Le jour de Noël, il devait la porter à la messe et lui sortir la tête pour qu’elle puisse fixer l’hostie. Il fallait alors quitter l’église et elle pondait des louis d’or. Quand l’avare sentait qu’il allait mourir, il demandait à son aîné d’allumer le four. La mandragore ou  "mandigore " sortait, se faisait caresser une dernière fois par son maître qui la renvoyait dans son four, ou elle brûlait alors stoïquement.

 

 

LE CINGLAR.

« Lou singlhan » ou « singlhar » était le nom donné selon les endroits, à la couleuvre d’Esculape ou à la couleuvre verte et jaune. Elle était disait-on, longue comme un fouet, grimpait aux arbres et était capable de sauter sept planches de labour (4m50 environ). Lorsqu’elle vous avait repéré, il ne fallait pas rester à découvert dans un champ, mais suivre le fond d’une raie, sinon elle vous attrapait en quelques bonds.

 

 

LE LIÔ.

Dans l’est de la Haute-Vienne, une couleuvre légendaire, surnommée le liô se dissimulait dans les ruines et hantaient les dolmens comme à La Tamanie, près d’Oradour-Sur-Vayres. Elle correspondrait à la couleuvre verte et jaune, appelée aussi barboto à Mézières, ou sar au sud et au sud-est de la Haute-Vienne.

 

 

LA LEGENDE DE THOURON.

Un soir de décembre 1814, un attelage élégant arriva à Thouron et franchit le portail du château. Un vieux monsieur, monsieur Eudel, accueillit une jeune et belle dame, Dame Henriette de Wesbeck, suivie de sa femme de chambre. Elle décéda peu de temps après et fut embaumée et ensevelie avec ses bijoux dans un cercueil de verre. Monsieur Eudel lui rendait visite chaque jour. Un soir, il aperçut un serpent enroulé autour du cou de la morte et fit alors murer son tombeau, puis vendit son domaine.

 

 

LE ROCHER DU SERPENT.

(Rapportée par Jeanne de Sazilly)

 

Les habitants d’Egletons et de Rosiers craignaient un serpent géant qui avait élu domicile dans un rocher entre les deux communes. Un jour, un soldat monté sur une mule, accompagné d’un enfant, s’arrêta à hauteur du rocher, l’enfant voulant cueillir des fleurs. Le serpent surgit, prêt à le dévorer. Aussitôt, le soldat combattit la bête et la terrassa. L’homme se sentant mourir, demanda qu’on rapatrie son corps à Tulle, sa ville natale. Les habitants reconnaissants exaucèrent ce vœu. Depuis la roche du serpent a gardé les empreintes de la mule, du pied du soldat, de celui de l’enfant et celle d’un cercle traversé par une trace de lance.

 

 

MOUSSE-GAGNET.

(Rapportée par A. Thévenot)

Au 15ème siècle, le fossoyeur Urbain Gagnet vivait pauvrement à La Souterraine, en Creuse, avec ses deux fils. Le 34 décembre 1556, il conseilla à ses fils de sonner longtemps les cloches pour célébrer Noël et s’absenta durant la nuit. Au lieu -dit, La Croix Des Chemins, existait un souterrain qui renfermait un trésor. Personne n’en était jamais revenu. Urbain y pénétra et remplit un sac de pièces d’or, mais fut enfermé et se crut mort. Il se réveilla au bout d’un mois. Des chauve-souris s’agrippaient à son crâne, des insectes couraient sur sa peau, une mousse verte avait recouvert son corps, et reptiles, batraciens et scorpions y avaient élu domicile. Urbain put sortir un an après avec son or. Un spectre lui dit qu’ils s’appelait maintenant Mousse- Gagnet. Ses fils ne le reconnurent pas et le sac ne contenait plus que des ossements. Mousse- Gagnet se traîna au cimetière pour y mourir. Ses fils l’enterrèrent avec les os du sac derrière le pilier de la porte du cimetière. Sa figure s’y grava dès le lendemain. Mousse- Gagnet était le gardien du cimetière, et sa figure de pierre effraya longtemps les enfants.

 

 

LE ROCHER DE LA BARTINAUDE.

(Rapportée par le docteur H. Taguet)

Ce rocher faisait partie d’un chaos granitique situé à 300 mètres de la route de Saint-Yrieix- Le- Dejalat, dans le canton d’Egletons. Il était habité par le géant Bartinaud et par sa femme, Bartinaude. Quand l’armée du roi vint arrêter le géant, il cria à sa femme de fermer la porte, et elle dormirait dans le rocher depuis des siècles. Un jour, un énorme serpent sortit d’une fissure et déposa des pièces d’or sur le tablier d’une bergère qui séchait au soleil. La bergère s’empara du trésor et, poursuivie par le serpent, ne dut son salut qu’à la Corrèze, à son origine qu’elle mit entre elle et lui.

Un parisien voulut percer le secret du rocher et vint avec des ouvriers. Quand ils voulurent ouvrir la porte, un bruit effroyable retentit dans la caverne. Les yeux flamboyants d’un monstre rouge apparurent dans la fissure et tout le monde se sauva. Le rocher de la Bartinaude garda son secret.

 

 

LES TROUS DES FEES.

La tradition rapporte que les trous ne sont que le commencement d’une galerie menant à un palais souterrain, dans lequel vit un génie puissant. Agé et vêtu de blanc, il porte une barbe blanche et une couronne. Pour accéder jusqu’à lui, il faut d’abord passer devant l’antre de la fée, à moitié lion et à moitié serpent. Elle crache des flammes, paralyse l’imprudent et l’avale. Son ventre devient transparent et le génie, observant l’avalé, décide si la fée doit le recracher ou non. Celui qui peut ressortir est devenu jeune et beau et le génie lui offre un talisman pour tout réussir.

Le proverbe limousin « Sortir du trou de la fée » signifie être né sous une bonne étoile, ou moins employé, être né  bien coiffé.

 

 

PROVERBES ET CROYANCES DIVERSES LIES AUX REPTILES.

-Les serpents ont la réputation d’enter dans les maisons, de s’approcher des bébés et de les étouffer.

La couleuvre est appelée « la testa vacha » et a la réputation de téter les vaches. Pour l’en empêcher, il faut suspendre un lézard vivant dans l’étable.

 

Les orvets assimilés aux serpents étaient tout autant redoutés:

« Si lo vanuei ovio dous ovei e lou serpent sas dens, li aurio pus un chrétien »

Si l’orvet avait des yeux et la couleuvre des dents, il n’y aurait plus un vivant.

 

Les lézards sont mieux considérés dans la croyance populaire. Ainsi, leur queue porte bonheur, celle du petit lézard gris. Ils passaient pour sauver les hommes des vipères en attaquant les reptiles menaçants.

 

En sorcellerie, pour jeter un mauvais sort, il fallait cacher une « charge » sur la trajectoire de celui que vous vouliez ensorceler (serpent ou lézard).

 

Lorsqu’une vipère vous avait mordu, il fallait piquer tout le tour de la morsure avec un chardon- pique de crapaud (La datura?). Ensuite, la vipère mourrait.

 

 

 

PROVERBES ET EXPRESSIONS.

« Los madiaus sautom, ve far orage

Si les orvets sortent, il va faire orage.

 

« Qu’es’ na rapieta, es magre coma’ n’ esgrinjola » se dit d’un homme gringalet.

« Es enrajat coma un lesert » signifie: il est enragé comme un serpent.

 

« Es verd coma un lusert » Il pleut comme un serpent.

 

Yves Lavalade dans son guide occitan de la flore, Limousin- marche- Périgord note que le mot serpent signifie souvent que la plante est sauvage et présente peu d’intérêt pour l’homme. L’alkékenge par exemple qui se développe dans les décombres et les haies est nommée « L’erba de serp »

La jacinthe des bois: « la lissa de barbota » ou l’ail des couleuvres.

Le sceau de Salomon toxique: « Le muguet de serp »

La gesse sans feuilles ou pois de serpent: «Lo peseu de serp »

 

Les noms occitans des serpents.

L’orvet, du latin orbus, aveugle: l’anadueln, l’aduelh ou l’ enduelh.

 

Le lézard: lo lusert pour le gros lézard vert.

 

Le lézard gris des murailles, appelée la rapiette: rapieta, esgrinjola, la grisolla la luserta (19), la serpauda(87), la sargate(basse-Marche)

 

La couleuvre: La colora la barbota, la coù- blanc(couleuvre à collier).

 

Le serpent: la serp et nombreux dérivés: serpilhos, serpe jar, serpentar(serpenter), espolha- serp(qui dépouille les serpents) désigne la lucane ou cerf-volant.

 

LEXIQUE

Caducée: attribut d’Hermès formé d’une baguette entourée de 2 serpents et surmontée de 2 ailerons. Symbole de la paix.

 

Gorgones: monstres de la mythologie grecque dont les têtes étaient entourées de serpents. La méduse était la seule mortelle. Persée lui trancha la tête et l’offrit à Athéna.

 

Basilic: du grec, basilikos, royal. Ce serpent mythologique été issu d’un œuf pondu par un coq et couvé par un crapaud. Son regard avait la faculté de tuer.

 

Vouivre: animal fabuleux mi-femme, mi-serpent, ou serpent ailé selon les régions. Son origine est celtique et elle hante notamment les puits et les étangs de Bourgogne.

 

Mélusine: Personnage fabuleux, fille d’une fée. Elle pouvait le samedi métamorphoser ses membres inférieurs en queue de serpent. Elle épousa le Comte Raymondin qui accepta de ne jamais la voir le samedi, et elle lui fit construire le château de Lusignan (Département de la Vienne). Un jour, il rompit sa promesse et la surprit au bain. Elle sauta par la fenêtre en poussant un cri affreux.

 

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES,

ET POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES REPTILES.

 

Bulletins de la SELM: Société d’Ethnographie du Limousin, de la Marche et des régions voisines. 1965- n°10; 1970- N°38 et 39.

 

DE SAZILLY J. Légendes limousines. ED. Lafitte Reprints.

 

DOHOGNE R. Guide des reptiles de l’Indre. Indre et Nature.

 

ETHNOLGIA. Revue d’ethnologie et des Sciences sociales des pays du massif central 1983- numéros 25 à 28.

 

GMHL, 2000- Atlas des mammifères, reptiles et amphibiens du Limousin.

 

GOURSAUD A. 1978- La société rurale traditionnelle en Limousins. Tome 3. Ed. Maisonneuve et Larose.

 

GRUBER U. 1992- Guide des serpents d’Europe, d’Afrique du Nord et du Moyen- Orient. Ed. Delachaux et Niestlé.

 

GUYOT F. 1994- Les pierres à légendes du Limousin. Ethnologia, Études limousines. S.E.L.M 65 et 68.

 

LACONCHE G. 1990- Légendes et diableries de haute-Vienne. Ed. Verso.

 

LAVALADE Y. 2002- Guide occitan de la flore, Limousin- Marche- Périgord. ED. Lucien Souny.

 

LAVALADE Y. 1997- Bestiaire occitan. Ed. de la Vetizou.

 

LOUTY P. 1990- Limousin ensorcelé. Ed. de la Vetizou.

 

MATZ G. et WEBER D. 1999- Guide des amphibiens et des reptiles d’Europe. Les guides du naturaliste. Ed; Delachaux et Niestlé.

 

MORANDA A. 2001- Amphibiens et reptiles, écologie et gestion. Med. West. Tour du Valat.

 

SCIENCES ET NATURE. 1999- Animaux sauvages, spécial reptiles. N° 7.

 

TAGUET H (Docteur). 1907- Usages et croyances populaires en Haut-Limousin. Revue Lemouzy N° 131.  

 

Article de librellule publié dans EPOPS, la revue des naturalistes du Limousin

Tag(s) : #Limousin
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