Les lettres
Ce soir je ne sais plus rien
Demain dompterai mes lettres
Puis les laisserai s'échapper
Sans collier ni laisse
Sans retenue aucune car elles ont besoin de respirer
Elles vont faire des tours pour mieux me supporter
Ont décidé de m'apprivoiser
Jouent aux grandes pour mieux me happer
Font semblant de m'obéir
Et colorent des gouffres
En collines boisées
Se pendent à mes doigts
Et dansent la bourrée
Gigotent sous mes yeux éblouis
Se rétament sans crier
Se lamentent parfois sous mes ratures
Se jettent du haut d'un chapitre
S'échappent dans les marges
S'endorment sans pleurer
Jaillissent sans crier gare
Sortent par la fenêtre
Et reviennent toutes noircies
Par un encrier un bac de suie
Un bel épervier une mine d'anthracite
Ou les courbes remplies
Par un coucher de soleil
Un champ de coquelicots
Un peu de tourbe
Des yeux de fougères
Ou la panse élargie
Par de belles vaches
Des êtres de rencontre
Quelques renards
Des bribes de contes
En fait elles n'en font qu'à leur tête
à leurs humeurs
à leurs fêtes leur fantaisie
à leurs faiblesses leurs vantardises
Elles refusent les enclos les clous les marteaux
Les manteaux les grippe-sous les revolvers
Elles sont en guerre douce
Et m'attaquent en essaimage
Forment des passerelles à mes peurs
Ou me piquent le cerveau
Me harcèlent sans méchanceté
Comme des manèges de chevaux
Des éclosions d'insectes
Des averses de grêlons
Elles s'opposent à mon sommeil
Quand elles ont tracé des rires sur mon front
Ce soir je ne sais plus rien
Sinon que les lettres n'ont rien à voir avec les frelons