Mes parents et leurs aînés
Nous vivions là
Aux côtés de l'Usine
Et de la Chapelle
Dans une ancienne maison de nonnes
Entre l'Usine
Et les bureaux administratifs
Entre les bureaux administratifs et la Chapelle
Entre l'Usine
Et la maison du directeur
Entre sa maison et la Chapelle
Entre l'Usine et la bibliothèque
Entre la bibliothèque et la Chapelle
Nous en faisions le tour
En jouant à cache-cache
Elle faisait partie du décor
Nous en faisions le tour
Scrutant ses fenêtres fermées
Pour en apercevoir les mystères
J'en étais sûre
Parfois le diable s'y cachait
Ou dans les rouleaux de métal
Alignés le long du jardin
Je confondais oui
Mon père et le diable
Dieu et le diable aussi
Surtout !
Nous étions entre
Entre deux mondes
Comme au purgatoire
L' Usine représentait l'enfer
Les classes aisées le paradis
C'est ainsi qu' ils nous éduquaient
Les soldats des dieux
Les femmes des catéchismes
Parfois femmes de directeur
Ou commerçantes
Ma mère
L'infirmière de l'Usine
Une partie de sa famille
Ils disaient
Ils ont de ces trognes les ouvriers
Sans voir les leurs
C'était parfois l'alcool qui marquait les visages
Mon père en fut marqué
C'était la fatigue aussi
Une vie dure et besogneuse
Nous trouvions nos cousins des villes
Mièvres maigrichons et pâles
Et leurs parents
Avec des idées toutes faîtes
Ils avaient plus de culture
C'était indéniable
Pas plus d'intelligence
Ils y croyaient souvent
Cela ne nous empêchait pas de jouer ensembles
Nous faisions le tri
Les cousins sympathiques
Ceux qui se la pétaient
Nous devions autant les critiquer qu'ils pouvaient le faire
Nous les trouvions trop sages
Trop bien élevés
Trop bien-pensants
Ils avaient plus de culture
Nous étions plus nature
Naturels, je ne sais pas
Nous ou je
Je et ceux qui pensaient pareil
La Chapelle fut détruite
Pour agrandir les parkings
Nos cousins et cousines préférés découvraient parfois le feu d'artifice, le carnaval, la retraite aux flambeaux, la pêche, le concours de pêche, celui de pétanque, le bal du village, la fête foraine, la partie de foot, la course cycliste, la fête des métallos, la maraude ou la mobylette, et toujours, le vase de Vix, et, s'ils ne se rebellaient pas, la messe aussi.