Avant d’aller jardiner, j’écoute les quatre saisons de Vivaldi. Violons et contre-basse.
Magie, accord, acquiescement, engouement, joie, envol, extase. J’ai envie de chanter et de danser, de m’envoler. Hymne à la terre et à la vie, communion avec le cosmos qui n'a rien de mystique.
Ce n’est donc pas mon jardin, c’est celui de tous ici et c’est celui de mon enfance, celui de mon père aux bras grands ouverts et au cœur débordant. Ce n’est pas mon jardin et c’est celui qui me rappelle tous les autres, de ces jardins chaleureux et conviviaux dans lesquels s’épanouissent des enfants gais et libres et des adultes joyeux, de ces jardins extraordinaires qui nous enseignent les secrets de la vie, assèchent nos larmes ou nos rancœurs, nous enchantent de matières, de sons et de couleurs.
Les oiseaux sont des violons, parfois des notes de piano ou des flûtes accordées. Moineaux, chardonnerets et mésanges, pouillots, pinsons et tourterelles, merles, pigeons ou rouge-gorges s’affairent et s’égaient, voletant en un ballet vif et réjoui tandis que vrombissent et grésillent des insectes précoces.
Assise sur une grosse pierre plate de granit, accolée au vieil érable, le dos bien calé contre son tronc épais et strié de cicatrices. La musique a imprégné mon cerveau, est sortie par tous mes sens éblouis alors que j’appréciais les petits et grands mouvements de la vie et de l’univers, même imperceptibles- microcosme.
Mon père, quand toi tu jardinais, les traits déjà usés par tes abus et la dureté de ton travail, le dos voûté, la bedaine en avant, les oiseaux te parlaient-ils ? Toi, l’homme qui ne s’épanchait guère, entendais-tu pousser les plantes ? leur hâte, leur détermination et leur résistance ? Connaissais-tu tous les chants de la terre et de l’air ? Et quand l’orage et la contre-basse menaçaient la quiétude, reconnaissais-tu la crainte des oiseaux, la fébrilité des insectes ? Aimais-tu le crépitement de l’averse et la brillance de l’herbe humide ? Ton jardin et ta sueur apaisaient-ils tes tourments ou n’étaient-ils qu ’ un terreau de subsistance ?
Je me suis levée et du jardin, j’en ai fait le tour, heureuse et légère, appréciant chaque note nouvelle et chaque promesse. Herbes, fleurs fluettes et celles à venir, vivaces, plantes mystérieuses et reconnues, érable, noisetiers, sureau, frênes, cerisier ou pruniers sauvages, écorces , rameaux et bourgeons, oiseaux, insectes, mulots et musaraignes, tous frémissaient, vibraient et s’ébattaient en un concert équilibré et gracieux, jusqu’aux arrosoirs, outils et objets divers fraîchement extraits de leur hivernage, bêches, râteaux, pioches, fourches, binettes, plantoirs, semoirs, pots de terre ou de porcelaine au col évasé qui semblaient attendre que nous les saisissions pour participer à la liesse printanière.
Je crois à l’ensorcellement des jardins et des violons, à la transcendance et à la sérénité qu’ils entraînent en nos esprits et nos corps, à leurs pouvoirs d’enchanter nos vies et nos volontés. Je crois aux vertus de la mémoire et à la force de l’émerveillement.
Ma mère a tenu à la croix gravée sur sa tombe. Lui, personne ne sait. Il disait souvent que Dieu était au chômage.
Texte inspiré de l'atelier d'écriture de L' Inventoire.