Ma créature

Exercice d’atelier, écrire la suite:

J’ai discrètement dessiné à la plume l’ombre ronde et tremblante de l’encrier. Dans une lointaine pièce une horloge a sonné et il m’a semblé, moi qui suis un rêveur, qu’on frappait à la porte, d’abord tout doucement, puis de plus en plus fort; quelqu’un a frappé douze fois de suite et s’est figé dans l’expectative.

J’ai discrètement dessiné à la plume l’ombre ronde et tremblante de l’encrier. Dans une lointaine pièce une horloge a sonné et il m’a semblé, moi qui suis un rêveur, qu’on frappait à la porte, d’abord tout doucement, puis de plus en plus fort. Quelqu’un a frappé douze fois de suite et s’est figé dans l’expectative.

Je n’ai pas même sursauté. Je n’attendais personne depuis longtemps et plus rien ne me surprenait. En me levant, le mot marionnette m'est venu à l’esprit comme une gifle peut claquer une joue. Non! Automate était plus juste. Je suis allé ouvrir la porte. Aussitôt, une odeur pestilentielle m’a fait suffoquer et j’ai porté une main sous mon nez. J’ai baissé les yeux. Une étrange créature me toisait de ses yeux enfoncés et colériques, une espèce de nabot ridiculement petit et à demi- nu, au corps trapu et bosselé, recouvert de feuillages morts ou en décomposition et à la longue chevelure moussue dans laquelle grouillaient maints vers et insectes noirâtres.

-Me reconnais-tu? Me demanda- t’il d’une voix sèche.

-Je n’ai nulle envie de vous connaître ou de vous reconnaître. Disparaissez! Et j’ai tenté de refermer la porte mais l’être hideux m’en a empêché d’un pied difforme et végétal.

Je l’ai laissé entrer, me suis servi un cognac et suis retourné m’installer à mon bureau.

L’odeur de pourriture et de moisissure a envahi toute la pièce. Il est venu s’asseoir en face de moi et j’ai senti qu’il me contemplait. J’ai fini par le regarder et il m’a semblé que ses yeux pétillaient soudain de malice et de bienveillance.

-Qui êtes-vous? Ai-je questionné.

-Ton ami et ton frère.

-je n’ai pas de frère et plus d’amis depuis bien longtemps, ai-je répondu et je me suis servi une autre cognac. L’odeur s’était atténué, ou peut-être m’y étais-je habitué.

-Que voulez-vous? Ai-je demandé encore.

-Je souhaiterais que nous allions nous promener comme autrefois.

-Vous délirez! Me suis-je exclamé.

Puis, je me suis entendu dire:

-Et pourquoi faire?

-Pour retrouver Don Quichotte, Robin des Bois et la fée Clochette et tous ceux qui nous attendent.

-Vous êtes fou! Et je l’ai regardé droit dans les yeux et j’ai vu que ses habits verdissaient légèrement. Les vers et les insectes avaient disparus.

-Offre-moi donc un verre, m’a t'il ordonné. Un grand verre d’eau de source me suffira.

Je lui ai obéi et, tandis que je sirotais ma boisson quotidienne, je me suis rappelé: mes rêves, mes combats, mes voyages, mes amis, les femmes…

-ça vient? a t'il dit d’une voix plus douce.

-Oui, ai-je murmuré et je l’ai regardé encore. Il se métamorphosait devant mes yeux, des crocus s’épanouissaient dans ses cheveux et l’odeur nauséabonde avait fait place à des parfums boisés et fleuris. Les feuilles prenaient des teintes printanières.

-Il m'a tendu sa main griffue avec une douceur infinie.

Je l’ai empoigné, presque brutalement, et tout m’est revenu; les ruisseaux de mon enfance, les coteaux et les forêts, mes chagrins de gamin sans père, la honte d’avoir une mère si possessive et si effacée, mes voyages lointains, mes amitiés, mes fuites, mes femmes, leur parfum et celui des fleurs, la terre, l’océan, mon premier bateau, mon premier enfant, le rire puis la tristesse d’Elodie. Une larme a coulé le long de ma joue.

-Viendras-tu? A- t’il murmuré en serrant ma main un peu plus fort.

Je me suis levé, ai attendu qu'il me rejoigne, et j’ai repris sa main. Quand nous sommes sortis de la maison, il a disparu. Mais plus rien n’avait d’importance, ou plutôt, tout avait retrouvé son sens. Je savais ou j’allais, chez Elodie pour lui dire que je l’aimais et que la vie sans elle m’était insupportable.

2007.