J'étais à Paris, métro Les Halles, au temps du grand trou.
Non! J'avais 12 ans quand j'ai vu le grand trou.
C'était bien plus tard et j'allais à Beaubourg voir une exposition.
J'ai entendu un violon.
Je me suis assise sur un banc.
J'ai regardé les gens se hâter pour monter dans les rames tandis que la musique prenait toute la place dans mon corps.
J'ai vu les visages gris, blancs, pâles et les traits tirés ou figés.
J'ai vu et senti toute la poussière, celle qu'on ne voyait pas.
Surtout celle-là.
J'ai vu les os des gens se ramollir et se fragmenter.
j'ai vu leurs dos se voûter.
J'ai vu des os, des plaies et des cendres et j'ai senti l'odeur.
j'ai vu Pompéï métro des Halles
Puis les tranchées de 14
Et la Russie de Solyénitsine
Puis Tréblinka et Oradour
Puis l'Arménie, l'Algérie
Et le Vietnam
Et le pendu de mon village
J'ai vu passer des métros
J'ai vu passer des gens
Puis j'ai vu un arc-en-ciel au plafond, immense
Et des hommes debouts au plafond, immenses
En liesse
Qui pleuraient de joie
J'ai vu des feux d'artifice, des cavalcades, des etrusques, des incas, des Dieux Egyptiens, des indiens, les contes de Grimm, le lion de Kessel, Lhassa, des ballets, le premier Disney au Cinéma, les marionnettes de Salzbourg, la Callas, les cols du Tyrol, les montagnes de Yougoslavie, les alignements de Carnac, les quatre saisons de Vivaldi et bien des choses encore.
Je crois bien que je souriais quand il est venu s'asseoir à côté de moi.
Il avait des yeux très bleus, presque transparents.
Il portait des cheveux longs et une barbe fine.
Il devait être un peu plus âgé que moi.
Il était très beau.
Il était allemand.
Il se débrouillait un peu en anglais et moi aussi.
Il m'a dit:
ça fait un moment que je vous observe.
Vous n'avez pas pris les métros.
Vous êtes la seule qui reste assise, si calme, et qui sourit.
Je lui ai dit que c'était à cause du violon.
Il m'a dit que le violon s'était tu depuis longtemps.
Il m'a dit qu'il aimait la France et voyager.
Qu'il allait à Taizé.
Que c'était la deuxième fois.
Qu'il savait qu'il irait tous les ans.
Et qu'aucun endroit ne ressemblait à cet endroit-là.
J'ai pensé qu'un jour, j'irai à Taizé moi aussi, comme d'autres font le chemin de Compostelle, s'arrêtent à Vézelay, à Istambul ou à Jérusalem.
Il m'a dit qu'il s'appelait Franz.
Il m'a dit que je n'étais pas comme les autres.
Il m'a dit que j'écoutais vraiment.
Je me suis dit que je ne savais pas pourquoi j'avais toujours cet air-là de ne pas paraître comme les autres.
Je me suis dit qu'il était très beau et que je ne l'étais pas.
Je me suis dit qu'il ne savait pas toute la tristesse que mon corps était capable de contenir.
Et que c'était impossible à dire.
Il a sorti un carnet bleu de son sac-à-dos, puis un stylo de la poche de son blouson, a écrit son adresse sur une page qu'il a arrachée et m'a tendue. Je l'ai prise et je me suis levée.
Il m'a dit qu'il savait que je lui écrirai et qu'il espérait me revoir.
Il m'a regardée prendre un métro et m'a fait un signe de la main.
Nous nous sommes écrit pendant plus de deux ans.
Un jour, il m'a envoyé une photo où on pouvait voir son visage amaigri à moitié dissimulé derrière des branches d'arbre, avec comme une drôle de fièvre dans les yeux.
je me suis dit qu'il devait se droguer pour avoir tant maigri et qu'il valait mieux l'oublier. C'était après l'homme-hâche et la nuit de l'orage, je crois bien.
J'ai rangé ses lettres et sa photo.
je les ai si bien rangées que je ne les ai jamais retrouvées. Il est possible que je les ai jetées.
J'ai rangé aussi toutes les lettres et les dessins du prisonnier de Fleury-Merogis avec lequel je correspondais et j'ai jeté l'autorisation de visite que je venais de recevoir de la Préfecture.
J'ai pensé que ses yeux semblaient méchants.
J'ai pensé qu'il m'avait menti et que pour être à Fleury, c'est qu'il avait tué, et sans doute tué une femme.
j'ai rangé ou jeté toutes les lettres de Bastien, un spécialiste de la fôret qui était venu travailler en Bourgogne et que j'avais rencontré dans une crêperie. Il m'avait dit qu'il m'aimait et qu'il espérait que je le rejoigne.
Je me suis dit qu'ils pouvaient tous être différents de ce qu'ils paraissaient être.
je me suis dit aussi qu'ils ne sauraient jamais combien les cendres m'avaient pénétrées et recouvertes et qu'il valait mieux qu'ils ne l'apprennent jamais.
Après, je n'ai plus écrit.
Je crois bien que je n'ai plus parlé.
Et je n'ai plus entendu de violon avant bien longtemps.
Non! J'avais 12 ans quand j'ai vu le grand trou.
C'était bien plus tard et j'allais à Beaubourg voir une exposition.
J'ai entendu un violon.
Je me suis assise sur un banc.
J'ai regardé les gens se hâter pour monter dans les rames tandis que la musique prenait toute la place dans mon corps.
J'ai vu les visages gris, blancs, pâles et les traits tirés ou figés.
J'ai vu et senti toute la poussière, celle qu'on ne voyait pas.
Surtout celle-là.
J'ai vu les os des gens se ramollir et se fragmenter.
j'ai vu leurs dos se voûter.
J'ai vu des os, des plaies et des cendres et j'ai senti l'odeur.
j'ai vu Pompéï métro des Halles
Puis les tranchées de 14
Et la Russie de Solyénitsine
Puis Tréblinka et Oradour
Puis l'Arménie, l'Algérie
Et le Vietnam
Et le pendu de mon village
J'ai vu passer des métros
J'ai vu passer des gens
Puis j'ai vu un arc-en-ciel au plafond, immense
Et des hommes debouts au plafond, immenses
En liesse
Qui pleuraient de joie
J'ai vu des feux d'artifice, des cavalcades, des etrusques, des incas, des Dieux Egyptiens, des indiens, les contes de Grimm, le lion de Kessel, Lhassa, des ballets, le premier Disney au Cinéma, les marionnettes de Salzbourg, la Callas, les cols du Tyrol, les montagnes de Yougoslavie, les alignements de Carnac, les quatre saisons de Vivaldi et bien des choses encore.
Je crois bien que je souriais quand il est venu s'asseoir à côté de moi.
Il avait des yeux très bleus, presque transparents.
Il portait des cheveux longs et une barbe fine.
Il devait être un peu plus âgé que moi.
Il était très beau.
Il était allemand.
Il se débrouillait un peu en anglais et moi aussi.
Il m'a dit:
ça fait un moment que je vous observe.
Vous n'avez pas pris les métros.
Vous êtes la seule qui reste assise, si calme, et qui sourit.
Je lui ai dit que c'était à cause du violon.
Il m'a dit que le violon s'était tu depuis longtemps.
Il m'a dit qu'il aimait la France et voyager.
Qu'il allait à Taizé.
Que c'était la deuxième fois.
Qu'il savait qu'il irait tous les ans.
Et qu'aucun endroit ne ressemblait à cet endroit-là.
J'ai pensé qu'un jour, j'irai à Taizé moi aussi, comme d'autres font le chemin de Compostelle, s'arrêtent à Vézelay, à Istambul ou à Jérusalem.
Il m'a dit qu'il s'appelait Franz.
Il m'a dit que je n'étais pas comme les autres.
Il m'a dit que j'écoutais vraiment.
Je me suis dit que je ne savais pas pourquoi j'avais toujours cet air-là de ne pas paraître comme les autres.
Je me suis dit qu'il était très beau et que je ne l'étais pas.
Je me suis dit qu'il ne savait pas toute la tristesse que mon corps était capable de contenir.
Et que c'était impossible à dire.
Il a sorti un carnet bleu de son sac-à-dos, puis un stylo de la poche de son blouson, a écrit son adresse sur une page qu'il a arrachée et m'a tendue. Je l'ai prise et je me suis levée.
Il m'a dit qu'il savait que je lui écrirai et qu'il espérait me revoir.
Il m'a regardée prendre un métro et m'a fait un signe de la main.
Nous nous sommes écrit pendant plus de deux ans.
Un jour, il m'a envoyé une photo où on pouvait voir son visage amaigri à moitié dissimulé derrière des branches d'arbre, avec comme une drôle de fièvre dans les yeux.
je me suis dit qu'il devait se droguer pour avoir tant maigri et qu'il valait mieux l'oublier. C'était après l'homme-hâche et la nuit de l'orage, je crois bien.
J'ai rangé ses lettres et sa photo.
je les ai si bien rangées que je ne les ai jamais retrouvées. Il est possible que je les ai jetées.
J'ai rangé aussi toutes les lettres et les dessins du prisonnier de Fleury-Merogis avec lequel je correspondais et j'ai jeté l'autorisation de visite que je venais de recevoir de la Préfecture.
J'ai pensé que ses yeux semblaient méchants.
J'ai pensé qu'il m'avait menti et que pour être à Fleury, c'est qu'il avait tué, et sans doute tué une femme.
j'ai rangé ou jeté toutes les lettres de Bastien, un spécialiste de la fôret qui était venu travailler en Bourgogne et que j'avais rencontré dans une crêperie. Il m'avait dit qu'il m'aimait et qu'il espérait que je le rejoigne.
Je me suis dit qu'ils pouvaient tous être différents de ce qu'ils paraissaient être.
je me suis dit aussi qu'ils ne sauraient jamais combien les cendres m'avaient pénétrées et recouvertes et qu'il valait mieux qu'ils ne l'apprennent jamais.
Après, je n'ai plus écrit.
Je crois bien que je n'ai plus parlé.
Et je n'ai plus entendu de violon avant bien longtemps.