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------ L'usine a décidé de refaire le toit de notre maison et elle a demandé au père Motinet s'il voulait bien s'en charger car il est célèbre pour son travail bien fait. Il est venu un matin avec deux de ses ouvriers, un jour où nous n'avions pas école, un jeudi ou un jour de vacances. Fanny, Hélène et moi, nous étions en train de jouer dans notre chambre où peut-être que je lisais un livre. Nous avons entendu ma maman s'énerver après le père Motinet et lui dire que le toit était trop mouillé, que c'était trop dangereux de monter sur le toit ce jour-là et qu'à soixante ans, il n'était pas si jeune que ça. Le père Motinet n'a rien voulu savoir et ma maman lui a dit qu'il était têtu comme une mule.

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Nous avons entendu du bruit au dessus de nos têtes et j'ai prié le bon dieu pour que ni le père Motinet ni ses ouvriers ne tombent du toit et puis j'ai oublié.

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Je ne me souviens plus si ça a été long ou pas. Tout ce que je me rappelle, c'est que nous avons entendu le Père Motinet dire Merde ! Mais pas si fort que ça et puis le bruit d'une glissade et comme quelque-chose de lourd qui tombe d'un seul coup sur le sol. J'ai entendu ma maman crier ou peut-être que j'ai inventé son cri. Fanny, Hélène et moi, on s'est regardé et on s'est fait un sourire mais ce n'était pas un vrai sourire et on est devenu glacé. Ma maman est venue dans la chambre et nous a dit de ne pas sortir, que le père Motinet était tombé et qu'il aurait du l'écouter et qu'elle appelait les secours.

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Je ne me souviens pas s'il est mort sur le coup ou plus tard mais souvent, j'entends la voix du père Motinet qui dit Merde ! Mais pas si fort que ça, le bruit de la glissade et le bruit quand il a touché le sol et je ne sais pas comment faire sortir ces bruits de ma tête.

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Après, j'ai pensé qu'un jour, mon papa, vu tout le vin qu'il buvait, tomberait du toit et qu'il gueulerait :

-Fait chier ! Bordel de merde !

Et j'ai repensé à mon cauchemar de quand j'étais petite. Je sortais de la maison et je m'approchais d'un ravin rempli de neige. Mon papa habillé en ramoneur, recouvert de suie, y était tombé et gisait les bras en croix. Giser ça veut dire être mort. J'appelais ma maman plusieurs fois et je lui demandais :

-Maman, papa il est mort ?

Et j'ai toujours gardé l'image dans ma tête, comme une photo, mon papa tout noir qui se détache bien sur la neige toute blanche.

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Je me suis demandée aussi pourquoi le bon Dieu faisait toujours le contraire de ce que je lui demandais. Quand j'en ai reparlé plus tard, avec Fanny et Hélène, mais bien plus tard que ça, nous nous sommes aperçus que nous n'avions pas les mêmes souvenirs des détails. Il y a des choses qu'on n'oublie jamais et des choses qu'il est impossible de se souvenir. C'est peut-être pour ça qu'on invente.

Est-ce ici  autobiographique ? ce passage, oui, complètement, c'est ce dont je me souviens. Se souvenir ne veut pas dire forcément que tout soit vrai non plus.  Il semblerait qu'un roman alterne fiction et réalité, souvenirs et présent,   souvenirs et expériences ou vécus plus tardifs et les mélange souvent dans un même chapitre. Il peut y avoir du  vécu et de l'inventé. Si c'est bien écrit,  je suppose que le  lecteur doit croire à tout. Ici, tout est vrai  mais tout peut-être aussi déformé ou reconstruit par la mémoire. La chute,  la mère et le ressenti sont vrais. La vision de la mort du père, c'était peut-être plus tôt ou plus tard.

Tag(s) : #Extraits de roman
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