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Un matin, ma maman nous a tous réunis, Stan, Fanny, Hélène, Hugo et moi. Elle nous a dit :

-Allez vous débarbouiller la figure, lavez vos mains bien comme il faut et coiffez-vous. Nous allons voir les personnes âgées de la maison de retraite.


-Pourquoi faire ? a demandé Fanny.


-Pour leur faire plaisir et pour faire plaisir au bon Dieu, elle a répondu. Nous allons leur apporter des gâteaux.


-Moi ! je ne veux pas aller voir les vieux, a rétorqué Stan.


-Ni moi non plus ! a renchéri Hélène. D’abord les vieux, ils puent et ils donnent des maladies. C’est la mère tape-dur qui la dit.


-On ne dit pas les vieux mais les personnes du troisième âge, a répondu ma maman. Et ils ne puent pas comme vous dites. On leur fait la toilette tous les jours.


-J’irai pas ! il a dit Stan en croisant les bras et en tapant du pied.


-Alors, le bon Dieu ne sera pas content de toi, a dit ma maman.


-J’m’en fous ! il a encore dit Stan.


-Va dans ta chambre ! a ordonné ma maman.



Fanny, Hélène, Hugo et moi, on a fait tout ce qu’elle a demandé et on est parti à pied, ma maman devant, et nous derrière, à la queue leu leu, en traînant des pieds et en shootant dans des cailloux.
-Il faut payer pour aller visiter les vi…, les vieilles, les vieilles gens, je veux dire ? a questionné Hélène.
-Nous n’allons pas au zoo ! elle a dit ma maman en fronçant ses sourcils et ça nous a fait rigoler.
-On aurait pu leur apporter des cacahuètes ! a ajouté Fanny, et ça nous a fait encore rigoler.
-Il faut respecter les personnes âgées et son prochain, elle a crié ma maman, avec des marmites du diable dans ses yeux.


Son prochain, c’est tout le monde, son institutrice méchante, sa voisine curieuse, le facteur qui picole, l’épicière radine par exemple. Moi, je n’aime pas tout mon prochain, j’ai pensé.


La maison de retraite, elle est tout en longueur, à la sortie du village, pas loin du cimetière. Les vi…, les gens du dernier âge, on les met le plus loin possible, j’ai pensé encore. C’est pour pas qu’on se rende compte quand ils commencent à moisir et à ressembler à leur squelette, et c’est pratique pour les enterrer puisque c’est juste à côté.


Ma maman, elle a arrangé sa coiffure et elle a sonné et elle a préparé son sourire politique. La directrice de la maison de retraite, elle nous a accueilli avec le grand sourire de l’épicière et elle a dit :

-Comme c’est gentil, ces gamins qui prennent du temps pour visiter mes petits pensionnaires. Ils vont être ravis.


On s’est regardé Fanny, Hélène et moi et on a pensé la même chose. D’abord, on n’est pas des gamins, et les personnes vi…, chiffonnées, c’est pas des nains, mais on pouvait rien dire à cause de la politique et des marmites.


-Entrez ! Entrez donc ! elle a dit la directrice.


Alors, nous l’avons suivie, ma maman devant et nous derrière, à la queue leu leu, et nous avons pénétré dans un long couloir très sombre, et de chaque côté, soudain ! on les a vus les personnages du Moyen- Age .



On aurait dit qu’ils avaient été rangés bien en ordre, comme les pions d’un jeu de dames qu’est pas commencé, et qu’ils attendaient qu’on les déplace.
Ils étaient assis sur des chaises, dans des fauteuils roulants ou dans des fauteuils à bascule, on aurait dit, tellement ils étaient penchés. Ils étaient vraiment chiffonnés, très chiffonnés, et ils ne souriaient pas, ils ne bougeaient pas, ils étaient tout gris comme des traînées de nuages, et immobiles comme les statues du musée Grévin.
-On dirait qu’ils sont déjà morts ! j’ai chuchoté et Fanny et Hélène m’ont regardé avec effroi.
Hugo, il n’a pas entendu, heureusement.



-Allez leur dire bonjour, elle a dit ma mère.


Alors, on n’a pas su s’il fallait tendre la main, les embrasser, faire une révérence ou dire :


-Salut ! Comment ça va ce matin ? C’est la forme ? je suis venue vous apporter des gâteaux.


-Et bien ! Dîtes-leur bonjour ! elle s’est énervée ma maman.


On a bien vu qu’ils ne nous voyaient pas et ne nous entendaient pas, comme si on n’existait pas pour eux, comme s’ils étaient aveugles, sourds, muets et parallépipèdes à la fois.


On s’est regardé, Fanny, Hélène et moi et Hugo s’est précipité vers ma maman en hurlant et s’est accroché à sa jupe.


Moi, je me suis avancée vers un papi d’au moins du cinquième age et j’ai vu qu’il bavait un peu. Il avait des croûtes sur son crane presque chauve et des plaques rouges sur le visage. Sûrement qu’il est allergénique, je me suis dit.


Ça ne sentait pas bon du tout dans ce couloir-là. Je l’ai regardé au fond de ses yeux ouverts et je lui ai dit :


-Bonjour monsieur. Comment ça va la santé ? Moi, très bien merci. Voulez-vous des gâteaux ?


Mais il est resté mort dans ses yeux tout vides et tout transparents. Alors, je suis allée voir la vieille dame d’à côté, toute ratatinée dans son fauteuil avec des mains toutes recroquevillées comme Carabosse dans les histoires et j’ai recommencé :


-Bonjour madame. Comment ça va la santé ? Moi, très bien merci. Je vous ai apporté des gâteaux.


Elle a souri un petit peu celle-là mais elle n’a pas tendu ses mains. Encore une parallépipède, j’ai pensé, alors, je lui ai posé un paquet de galettes sur les genoux. Elle a murmuré merci. Ouf ! je me suis dit. Elle n’est pas déjà morte, celle-là.


Fanny et Hélène, elles ont fait comme moi. On laissait ceux qui étaient tout morts et on choisissait ceux qui avaient encore un peu de vivant. C’est des morts-vivants, j’ai pensé


Et puis, y’a un homme, tellement vieux qu’il aurait pu être emmené au cimetière, qui a caressé la joue de Fanny et elle s’est mise à crier.*


La directrice, elle s’est approché et elle a dit :


- Ah ! le cochon ! Il a encore fait sous lui ! Il n’a pas honte devant les gamins ! Il sera privé de télé !
Nous, on a eu honte pour le monsieur et on l’aurait bien baffé la directrice, mais on pouvait pas à cause des marmites.


Jamais , je ne deviendrais un personnage du dernier age, j’ai pensé. J’irai vivre en Afrique et je vivrai sous un arbre à fromages. Je raconterai des histoires à tous mes prochains pour qu’ils soyent moins tristes, et quand je m’endormirais d’un seul coup, ils me promèneront et ils me feront danser autour d’un grand feu. Ils feront une grande fête pour accompagner mon âme au paradis ou au purgatoire. Mais, comme j’ai déjà fait tous les pêchés capitaux sauf tuer mon prochain, j’ai tué des insectes des fois, je sais pas bien ou j’irai.
Fanny, Hélène et moi, on s’est regardé, puis on a dit « au revoir tout le monde » , on a contourné ma maman sans la regarder et on est sorti en vitesse avec Hugo qui nous courait après.


Quand on est rentré, ma maman , elle a juste dit :


-Vous êtes encore un peu jeune pour la maison de retraite mais le bon Dieu sera content.


Nous, on n’était pas content du tout. On a raconté la visite des zombis à Stan et on a juré qu’on se ferait évader des bagnes pour les gens chiffonnés. On a échangé notre sang, en faisant juste une petite entaille dans le pouce, le doigt qu’est plus costaud que les autres, puis on s’est mis en rang, comme à la communion et on a ouvert des larges bouches et Stan, il nous a donné un morceau de chocolat suisse à chacun qu’il avait piqué dans le placard, et après, on est descendu à la cave sans faire de bruit, avec des verres à dînette. Stan, il ne savait pas quoi choisir comme vin. Il a pris du meursault parce que le nom faisait penser à morceau de chocolat et qu’on aimait bien faire les choses assorties. Il nous en a servi un fond de verre à chacun et on a trinqué au pacte. Puis, on est allé vider le reste au pied des groseillers des fois que ça ferait des groseilles à la liqueur et on a enterré la bouteille sous le buis béni qui fait comme une cabane avec un creux à l’intérieur. C’est là qu’on enterre tous les animaux morts qu’on trouve, et on met des croix en bâton et de la mousse et des fleurs sur la tombe pour que les animaux aussi, ils aillent au paradis.


Après, on a fait des cauchemars. On était dans un long tunnel et nos amis venaient nous voir, mais c’était comme s’ils n’existaient pas pour nous.


Et un jour, mon papa, il a dit qu’ils allaient fermer la maison de retraite du village parce qu’elle n’était pas aux normes, et que les vieux, et bien, ils étaient maltraités par des cons .


-Faut pas dire un vieux, il a dit Hugo.


Alors mon papa l’a regardé et il a dit avec sa grosse voix :


-Un fieux est un fieux et un con est un con. C’est un proferpe suisse et fautra t’en rappeler.



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Est-ce autobiographique ?

Il n'y avait pas de maison de retraite dans mon village

La plus proche était tenue par des gens bienveillants et ils ont du fermer pour une histoire de normes

J'ai vécu de mauvaises expériences de maison de retraite plus tard

Donc, c'est bien du roman

Tag(s) : #Extraits de roman
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